PPCR : Déroulement de carrière sur au moins deux grades : L’évaluation s’en mêle !

Tout ça pour... en arriver là !

Lors des négociations sur ce qui deviendra le non protocole « PPCR et avenir de la Fonction Publique », plusieurs sujets importants avaient été débattus.
Nous ne reviendrons pas aujourd’hui sur toutes les critiques et appréciations exprimées par Solidaires Fonction Publique par rapport à l’ensemble d’un dispositif dont la plupart des agents ont déjà pu apprécier, dès 2017, les limites et déplorer l’usine à gaz lors des reclassements dans les nouvelles carrières. Nous rappelons que Solidaires Fonction Publique a porté un regard négatif sur le projet de protocole dans son ensemble. Ce positionnement ne l'empêche pas d'exiger que telle ou telle mesure favorable aux agents soit appliquée tout en oeuvrant pour en exiger des améliorations.

Nous allons démontrer ici les décalages entre les belles déclarations politiques et l’application dans la vraie vie des dispositifs préconisés.

Le fait, par exemple, que de très nombreux fonctionnaires terminent leur carrière dans le premier grade de leur corps avait été largement dénoncé par plusieurs fédérations. Cette constatation vise notamment les agents de catégorie C de la Fonction Publique Territoriale mais pas qu’eux, car on retrouve beaucoup d'agents de toutes les catégories dans cette situation dans la Fonction Publique et dans tous les Ministères et y compris à la DGFiP.
Ces blocages de carrière subis par les agents sont la conséquence directe :

  • Soit de restrictions budgétaires illustrées par de trop faibles possibilités de promotions. Autrement dit par des ratios pro/pro insuffisants pour permettre un déroulement linéaire des carrières (ratio pro/pro = pourcentage d’agents pouvant être promus par rapport au nombre d’agents remplissant toutes les conditions statutaires pour l’être).
  • Soit de dispositions statutaires qui bloquent trop longtemps les agents dans un grade (durée de services exigée dans le grade et/ou le corps, échelon à atteindre pour être en ligne et autres dispositions… ).

Pour espérer la signature d’un maximum de fédérations, la Ministre avait donc accepté d’intégrer dans le projet de protocole une mesure spécifique visant à débloquer un peu la situation.

Le principe …

Dans le non protocole figure ce beau principe :

« Le principe selon lequel chaque fonctionnaire doit pouvoir dérouler une carrière complète sur au moins deux grades, dans toutes les catégories, sera mis en œuvre et servira à la fixation des taux d'avancement. Ces taux garantiront des déroulements de carrière correspondant à la durée effective de l'activité professionnelle et permettront d'atteindre les indices de traitement les plus élevés. Ils donneront obligatoirement lieu à consultation des instances représentatives des personnels compétentes. Le comité de suivi réunissant les signataires du présent accord sera réuni afin d'examiner les critères utilisés pour la fixation des taux. »

Lors des négociations, Solidaires Fonction Publique n’a cessé d’exiger, en vain, des précisions sur la mise en œuvre de ce dispositif. Une analyse positive permet de penser que le Gouvernement s’engage à ce qu’aucun agent ne termine sa carrière dans le premier grade du corps auquel il appartient et ce, quelle que soit la condition d’accès à ce premier grade (concours externe ou promotion interne). Il y est également précisé que le fonctionnaire doit pouvoir dérouler une carrière complète sur au moins deux grades. Il doit ainsi pouvoir atteindre l’échelon terminal du grade d’avancement (le deuxième grade) car à défaut, la carrière serait incomplète. Enfin, le nombre d’agents en ligne, c’est-à-dire le nombre de ceux qui remplissent les conditions statutaires pour être promus doit servir à déterminer le ratio pro/pro pour garantir la promotion de tous les agents concernés. Pour une fois, les agents passent en premier et le « budgétaire » doit suivre !


Le texte d’application …

Un « beau » décret vient toujours parfaire une « belle » orientation.
Le décret n° 2017-722 du 2 mai 2017 relatif aux modalités d'appréciation de la valeur et de l'expérience professionnelle de certains fonctionnaires éligibles à un avancement de grade vient donc modifier le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010, lui-même relatif aux conditions générales de l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l'Etat.

Pour ce qui concerne la Fonction Publique d’Etat ce texte précise : 

« Lorsque le fonctionnaire a atteint, depuis au moins trois ans au 31 décembre de l'année au titre de laquelle il est procédé à l'évaluation, le dernier échelon du grade dont il est titulaire et lorsque la nomination à ce grade ne résulte pas d'un avancement de grade ou d'un accès à celui-ci par concours ou promotion internes, ses perspectives d'accès au grade supérieur sont abordées au cours de l'entretien et font l'objet d'une appréciation particulière du supérieur hiérarchique dans le compte rendu de cet entretien mentionné à l'article 4. Cette appréciation est portée à la connaissance de la commission administrative paritaire compétente. Ces dispositions sont applicables aux agents en position de détachement, aux agents intégrés à la suite d'un détachement ou directement intégrés, qui n'ont bénéficié, depuis leur nomination au sein de leur administration, établissement ou collectivité territoriale d'origine, d'aucune promotion ni par voie d'avancement ni par voie de concours ou de promotion internes. »

Solidaires Finances Publiques dénonce le caractère restrictif de cette disposition. En effet, il n’est plus question à proprement parler de « faciliter » la promotion des agents, mais de déléguer à l’évaluateur la responsabilité d’apprécier les capacités de l’agent à être promu ou non. En fait, il s’agit de justifier dans le compte-rendu de l’entretien d’évaluation les raisons du blocage de carrière de chaque agent recruté par le concours externe, et bloqué depuis trois ans au dernier échelon du premier grade en y portant une « appréciation particulière ». Les agents ayant bénéficié d’une promotion interne sont donc exclus du dispositif et aucune appréciation particulière ne sera portée sur leur compte-rendu d’évaluation. Les Commissions Administratives Paritaires seront informées desdites appréciations mais aucune directive n’est donnée pour savoir ce que la CAP fera de cette information. Il est vrai que ni l’évaluateur, ni les représentants du personnel n’ont le pouvoir de définir le ratio pro/pro qui détermine les possibilités de promotions !
Compte-tenu des restrictions budgétaires, l’Administration met surtout en œuvre un dispositif qui permettra d’expliquer aux agents (qu’ils le veuillent ou non) pourquoi ils ne sont pas promus et donc pourquoi ils sont bloqués dans leur premier grade. Pour Solidaires Finances Publiques il ne s’agit là que d’un détournement d’intention par rapport au dispositif préconisé dans le projet de protocole.

Et la DGFiP dans tout ça ?

A la DGFiP, la direction générale vient de publier l’instruction annuelle sur l’entretien professionnel des agents des catégories A (inspecteurs et inspecteurs divisionnaires à titre personnel), B et C (voir à ce sujet le supplément à « L’Unité n° 1096 du 16 janvier 2017). Elle y décline donc cette nouvelle disposition.
Sont uniquement ciblés les agents de chaque catégorie recrutés par le biais du concours externe et classés depuis trois ans au moins dans le dernier échelon du grade de recrutement. Il s'agit ainsi :

  • des agents administratifs et des agents techniques de 11ème échelon ;
  • des agents administratifs principaux de 2ème classe et des agents techniques principaux de 2ème classe de 12ème échelon ;
  • des Contrôleurs de 2ème classe et des Techniciens Géomètres de 13ème échelon
  • et des Inspecteurs de 11ème échelon.

Tous les autres agents sont exclus de la mesure.

« Pour les agents concernés les évaluateurs devront porter dans le compte-rendu de l'entretien professionnel une appréciation particulière sur les perspectives d'accès au grade supérieur. Cet avis devra être circonstancié et motivé sur l'accès de l'agent au grade supérieur, au choix, par tableau d'avancement. »
La Direction générale précise évidemment qu'un avis favorable n’entraînera pas automatiquement l'inscription de l'agent au tableau d'avancement, les possibilités de promotions étant fixées par le fameux ratio pro/pro.

En réalité, qui est concerné à la DGFiP ?

Sans tenir compte de l'origine du recrutement (externe ou promotion interne) ni de la date d'accès à l'échelon, au 1er janvier 2017 sont classés dans le dernier échelon d'un grade de recrutement :

  • 1 agent technique sur 283 agents dans le grade et 1 agent administratif sur 222 ;
  • aucun ATP2 sur 704 mais 23 AAP2 sur 13690 agents dans le grade ;
  • 6 techniciens géomètres sur 243 et 29 contrôleurs de 2ème classe sur 13985 ;
  • 4290 inspecteurs sur 22060 agents dans le grade (et 2707 agents sont classés au 10ème échelon).

La situation est claire. Très peu d'agents C ou B sont « coincés » dans le dernier échelon du 1er grade. Les raisons de ce blocage peuvent être multiples : insuffisance professionnelle avérée, contexte disciplinaire ou tout simplement attente pour satisfaire à toutes les conditions statutaires pour être promu, notamment eu égard à l'exigence de justifier d'un certain nombre d'années de services dans le grade ou le corps. Il faut toutefois noter par exemple qu’un Agent Technique ou un Agent Administratif classé au dernier échelon de son grade de recrutement depuis au moins trois ans doit, s’il est promu au grade supérieur, encore être en activité pendant 10 ans et 6 mois pour dérouler une carrière complète sur deux grades et ainsi atteindre le 12ème échelon du grade d’ATP2 ou AAP2 (sans compter la durée nécessaire, de six mois aujourd’hui, pour consolider leur situation indiciaire pour le calcul de leur pension).

Pour ce qui est du grade d'inspecteur, la situation est compliquée, beaucoup plus compliquée.
Sur 22060 inspecteurs, 4290 (20 %) sont classés au dernier échelon et 6997 (32 %) dans les deux derniers échelons.
Au niveau Fonction Publique, seuls 4 % des attachés sont au dernier échelon du premier grade de la catégorie A.
Solidaires Finances Publiques n'a de cesse de dénoncer cette situation inacceptable.
En effet, sauf à devenir « manager » ou choisir la filière « expert », les inspecteurs n'ont aucune perspective de déroulement de carrière. Tout juste peuvent-ils prétendre à atteindre la classe normale du grade d'Inspecteur Divisionnaire par le biais d'une promotion « à titre personnel » avec engagement de départ à la retraite dans les six mois suivant la promotion. Pour ceux qui justifient de trois ans d’ancienneté dans le dernier échelon, ils peuvent ainsi être classés au mieux au 2ème échelon du grade d'IDiV de classe normale et être avancés immédiatement au troisième échelon. Pour atteindre le dernier échelon du grade d’IDCN ils devraient encore être en activité pendant 3 ans (3 ans et 6 mois pour consolider l’indice pour la retraite) mais, la promotion « à titre personnel » est conditionnée à un départ 6 mois après la nomination dans le grade.

Les revendications de Solidaires Finances Publiques

Solidaires Finances Publiques exige :

  •  la mise en place de carrières linéaires revalorisées. Ceci implique l'écriture des carrières C et B sur un seul grade d'autant plus que la nature des fonctions exercées est indifférente du grade dans lequel sont classés les agents.
  •  l'application sans condition du principe figurant dans le projet de protocole : « Le principe selon lequel chaque fonctionnaire doit pouvoir dérouler une carrière complète sur au moins deux grades, dans toutes les catégories, sera mis en œuvre et servira à la fixation des taux d'avancement. ».
  • la linéarité entre différents grades de la catégorie A : Linéarité IP/AfiPA, linéarité IDCN/IDHC, linéarité Inspecteur/IDCN.
  • la promotion, sans changement de fonctions, en linéaire et « à titre personnel » au grade d'IDCN de tous les inspecteurs qui remplissent les conditions statutaires (avoir atteint le 8ème échelon et justifier de 7 ans de services effectifs dans le grade).
  • dans l'immédiat, la modification des conditions d'établissement des tableaux d'avancement au grade IDiv CN « à titre personnel ». Pour dérouler une carrière « complète » sur au moins deux grades les inspecteurs promus IDCN doivent l'être de manière à pouvoir atteindre l'échelon terminal (le 4ème) du grade avant l'âge légal de départ à la retraite et sans engagement de départ si l'agent souhaite prolonger son activité. Cette perspective d'atteindre le 4ème échelon doit concerner tous les inspecteurs.
  • que les taux de promotions décidés dans les arrêtés soient établis, conformément au non protocole, de sorte que les objectifs politiques fixés puissent être respectés et atteints.
  • la suppression de l'avis circonstancié et motivé rédigé par l'évaluateur ou à défaut que cet avis ne puisse être que d'une neutralité favorable pour tous les agents (issus de l'externe ou de la promotion interne) ainsi que le propose déjà la Direction Générale pour ce qui concerne la catégorie A.
  • que, dans l'immédiat, le dispositif s'applique à tous les agents C, B et Inspecteurs et pas seulement à ceux recrutés dans leur corps par la voie externe. En effet, Solidaires Finances Publiques conteste la discrimination opérée à ce sujet et maintes fois condamnée par le Conseil d’État : « le principe d’égalité de traitement entre les agents appartenant à un même corps fait obstacle à ce que des distinctions soient faites, notamment pour l’avancement au sein de celui-ci, entre ces agents selon les conditions dans lesquelles ils ont été recrutés ».


Pour Solidaires Finances Publiques, ce principe fort vaut tant pour la sélection des agents candidats à une promotion que pour la simple apposition d’une « appréciation particulière » dont pourraient bénéficier (ou souffrir) certains agents et pas les autres !